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Parole d’acteur : « Ne pas se pencher sur les besoins fondamentaux de l’humain, c’est passer à côté de l’essentiel. »

Texte : Alizée Gau
Photo : Mairie de Saint-Thibault-des-Vignes

Après un parcours aux Beaux-Arts, Marthe Bordai travaille depuis vingt-quatre ans à la politique de la ville de Saint-Thibault des Vignes, en Île-de-France. Aujourd’hui Directrice de l’Éducation, elle revient sur les enjeux d’une politique de bien-être territorial – et l’intérêt des approches canadiennes sur le sujet.

Marthe Bordai ne s’en cache pas : « Pour moi, les voyages sont des bulles d’oxygène. Le Canada m’a fortement et positivement marquée. »  

Depuis les paisibles bureaux de sa mairie, la directrice du pôle scolaire et périscolaire de la commune française de Saint-Thibault-des-Vignes, située à une trentaine de kilomètres de Paris et forte d’un peu plus de six mille âmes, revient très volontiers sur les souvenirs de ses nombreux séjours au Canada. Tout particulièrement sur une pratique sociale aussi ancrée dans le paysage culturel que le hockey sur glace ou le sirop d’érable : la convivialité.

« Là-bas, on peut parler de tout et de rien avec des personnes qu’on ne connaît pas. Par exemple, une caissière vous demandera toujours si ça a été, si vous avez besoin d’aide. Au-delà d’encaisser, il y a un échange, même si ce ne sont que des courses. On retrouve ça partout. J’ai trouvé ça extraordinaire. »

Ancienne étudiante aux Beaux-Arts et animatrice périscolaire, Marthe Bordai raconte être arrivée par hasard à Saint-Thibault-des-Vignes, à l’occasion d’un job d’été en animation. Enthousiasmée par le développement des politiques éducatives encore à leurs débuts, la jeune femme décide de s’impliquer dans la commune, passe les concours administratifs et gravit peu à peu les échelons. En 2006, le jumelage de Saint-Thibault avec une ville italienne marque un premier choix d’ouverture. Quinze ans plus tard, la proposition de rejoindre l’Alliance franco-canadienne pour le bien-être ne tombe certainement pas dans l’oreille de sourds : « J’avais entendu parler de l’expérimentation là-bas. J’en ai parlé à Monsieur le Maire Sinclair Vouriot qui est très sensible à ces questions. Il a tout de suite souligné qu’on ne pouvait pas refuser cette opportunité. »

Back to basics

En réalité, travailler sur la notion émergente et protéiforme du bien-être territorial suppose en premier lieu de définir un périmètre. Interrogée, Marthe Bordai revient spontanément sur son expérience outre-Atlantique : « Au Canada, l’interaction sociale avec n’importe qui fait partie du bien-être mental ; cette notion-là est naturelle, elle est à l’ordre du jour. Il y a une notion de culture, et un enjeu d’humilité. La France est un pays fier de son patrimoine et de son histoire, néanmoins il en découle beaucoup d’ambivalences. Au Canada, on place les priorités là où il faut, sans complexes. »

Pour la Directrice Éducation de la commune, le bien-être territorial réside précisément à la jonction des notions de lien social et de santé mentale. Incarner cette approche dans l’action publique suppose aussi de revenir sur certains fondamentaux :

« Il y a eu une prise de conscience qui n’était pas la même avant le covid. Les gens sont fatigués et disent maintenant que le bien-être est leur priorité. La santé mentale est aussi devenue un enjeu prioritaire. On se rend compte que si on ne s’en saisit pas, on aura du mal à construire quoi que ce soit. On vit dans une société comme ça, où on oublie les fondamentaux. Quand on ne se penche pas sur les besoins psychologiques de l’humain, on crée des dégâts qu’on ne sait plus comment réparer, des problèmes qu’on pourrait éviter si on revenait à l’essentiel. À l’heure actuelle, c’est quelque chose qui demande du temps et de l’analyse. Je lis beaucoup à ce sujet, certains métiers autour de l’enfance sont obligés de se pencher sur ces questions. Il faudrait que cela se généralise à toute la société civile, que cette prise de conscience transpire à son tour dans l’action publique. »

Les recherches scientifiques et expérimentations menées depuis près de quinze ans par WMA Wellness – pilier canadien de l’alliance franco-canadienne pour le bien-être – s’appuient en particulier sur trois besoins psychologiques fondamentaux de l’être humain : l’appartenance, la compétence et l’autonomie. L’appartenance renvoie au besoin d’entretenir des interactions avec les membres de ses communautés (intimes, professionnelles, de voisinage) et de s’y sentir intégré. L’autonomie, elle, renvoie à la liberté de choix et de décision sur les orientations fondamentales ou quotidiennes de l’existence. Quant à la compétence, elle fait écho à l’accomplissement personnel, implique de solliciter ses talents et ses forces pour parvenir à ses objectifs. Trois notions aussi simples qu’interreliées.

Des amuse-bouche au plat de résistance

Plusieurs réunions et temps de sensibilisation ont été nécessaires à Saint-Thibault-des-Vignes pour amorcer ce retour aux fondamentaux et convaincre en interne de l’intérêt de la démarche. Aussi importante que soit la notion de bien-être territoriale, difficile de se projeter, en effet, sur un chantier nouveau aux applications moins concrètes dans les esprits que d’autres actions publiques en cours. De réunion en réunion, Marthe Bordai confirme une participation croissante, et une capacité de projection plus forte pour les diverses parties prenantes (personnel de la ville et chefs de service, acteurs sociaux, autres professionnels et habitants). Pour la Directrice, cet enjeu de sensibilisation s’applique bel et bien à l’ensemble des habitants :

« À la fin de cette expérimentation, il faudrait que chacun ait notion de ce qu’il est possible de faire à son niveau pour le bien-être territorial, qu’on produise un effet domino. Il faut que ça transpire, que ça touche tout le monde – qu’on sente quand on arrive à Saint-Thibault-des-Vignes qu’il y a quelque chose qui se passe ici. S’il y a une prise de conscience là-dessus, il y aura forcément de l’agir derrière. »

Ainsi, le succès du projet se matérialiserait non seulement via des actions visibles pour tous sur le territoire (à travers par exemple des démarches d’accueil, et de nouvelles opportunités pour les habitants de rentrer en relation et de faire communauté) mais aussi via une adhésion collective à la démarche pour la pérenniser. Une appréciation qui implique également – osons le dire – une forme de ressenti émotionnel : « Cette expérimentation doit aussi nous apporter quelque chose en matière de mixité sociale – pour que chaque habitant ait le sentiment d’être chez soi à Saint-Thibault-des-Vignes. Dans la commune, la population change, de nouveaux habitants d’autres horizons s’installent ici, il y a un enjeu fort à ce sujet. »

Pour éviter une appréciation trop subjective et approximative, un outil de l’alliance franco-canadienne pour le bien-être vise en particulier à mesurer de façon scientifique cet « indice » de bien-être territorial : l’IMER (Inventaire du Mieux-Être et de la Résilience). Composé d’une batterie de questions soumise aux membres d’une communauté, ce baromètre permet d’identifier les forces et les défis et d’établir un projet de bien-être territorial adapté, développant en priorité les forces en présence. Reconduit à plusieurs reprises, il mesure par ailleurs l’efficience des actions engagées et leurs évolutions.

Ainsi, l’équipe canadienne de l’Alliance se déplacera une première fois cet automne pour présenter à Saint-Thibault-des-Vignes les premiers résultats de l’IMER : « La perspective de rencontrer les Canadiens crée beaucoup d’enthousiasme, c’est une intervention fortement attendue, confirme Marthe Bordai. Bien sûr, le fait d’ouvrir les frontières crée de la fraîcheur, de l’enthousiasme. Nous pouvons dire qu’on a passé les amuse-bouche – cette phase qui nous permet de découvrir le sujet, sans trop savoir encore où ça nous mène. On attaque le plat principal avec les Canadiens en septembre, qui sera consistant et qu’il va falloir digérer… Pour mettre en œuvre le fameux désert avec le plaisir d’arriver là où on veut en venir : le plaisir, c’est la mise en œuvre ! »

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