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Parole d’acteur : « Quand on ne créera rien de plus, mais qu’on donnera le sens, notre commune sera un territoire de bien-être. »

Texte : Cabinet FR Consultant
Photo : Fresque murale de la ville de Genas, France

Dans le chapitre 2 Le bien-être de l’autre côté de l’océan, Robert Laurie, Directeur de la recherche de l’organisme WMA Wellness et membre de l’alliance franco-canadienne pour le bien-être, exposait les approches du bien-être à la canadienne. Retour cette fois-ci en hexagone en sa compagnie, et plus précisément en région Rhône-Alpes, à l’occasion du lancement d’un chantier aussi pratique que métaphysique.  

Mi-septembre. Comme partout en France, l’été se prolonge sur la commune de Genas, à quelques 30 kilomètres de Lyon, côté Alpes. Les terrasses du midi débordent de travailleurs et travailleuses en tenues estivales, on apprécie encore la fraîcheur des platanes, et les fresques murales de la ville – une particularité locale – rendent leurs plus belles couleurs sous une lumière annonciatrice de la fin de saison. Le cadre est bien choisi pour parler de bien-être.

À deux pas de l’hypercentre, sous le dôme d’un hôtel de ville récemment rénové d’apparence flambant neuve, une assemblée d’élus se rassemble justement à ce propos. Le Maire de la ville, la Directrice Générale des services et une dizaine de responsables municipaux accueillent pour l’après-midi un curieux visiteur canadien encore en rémission de décalage horaire. Avec lui, deux consultants français arrivés de Paris et de Nantes, venus représenter à ses côtés l’Alliance franco-canadienne pour le Bien-Etre.

Le village qui voulait être heureux

Un tour de table ouvre la réunion. Robert Laurie annonce la couleur : « Quand on se présente, on essaye de caser les gens dans des cases : ingénieur, fonctionnaire, consultant… Moi je suis dans beaucoup de cases à la fois. » Canadien, docteur en pédagogie, enseignant, chef d’entreprise, jeune retraité, Robert Laurie a en effet roulé sa bosse. Développant sa vision des milieux d’engagement positif, il ajoute : « La question pourrait se résumer à ça : qu’est-ce qui distingue les groupes qui fonctionnent bien des groupes qui fonctionnent moins bien ? Quelles que soient les structures hiérarchiques et juridiques dont on parle, la chose commune, c’est qu’on parle d’humains. »

Qu’à cela ne tienne, les élus et employés de la ville de Genas se présentent à leur tour avec leurs multiples casquettes : sapeurs-pompiers, employés de banque, experts en neurosciences, anciens sportifs… Les talents ne manquent pas dans le panel. Pas moins qu’un réel sentiment de fierté vis-à-vis du travail accompli par la municipalité : inauguration d’une nouvelle crèche, d’un point d’information jeunesse, d’une maison de toutes les générations et de nouvelles fresques murales en centre-ville. À côté du travail de longue haleine mené pour ouvrir de nouvelles infrastructures, d’autres élus évoquent les liens sociaux et l’engagement porté par la ville : dynamisme du forum des associations, accueil de nouveaux arrivants, solidarité apportée à quatre orphelins de la commune, invitation du plus jeune maire de France dans les établissements scolaires, déploiement de distributeurs de serviettes périodiques dans huit collèges à l’initiative d’adolescents genassiens…

Le séminaire pourrait s’arrêter là et conclure au non-lieu sur le besoin de discuter des questions de bien-être territorial dans une ville comme Genas. Cendrine Vadon, Directrice Générale des services de la ville, rappelle toutefois avec humilité : « En ingénierie, nous ne sommes effectivement pas trop mauvais. Nous sommes dans le bien-faire, mais cela ne génère pas toujours du bien-être. Entre l’histoire qu’on a pu écrire, celle qui s’est raconté, et la réalité, nous avons raté quelque chose. » De là découle la curiosité de la ville, développe-t-elle, vis-à-vis de l’approche capacitaire promue par l’alliance franco-canadienne pour le bien-être : s’appuyer sur les forces et les bons fonctionnements d’un organisme pour activer son potentiel, apporter le supplément d’énergie nécessaire pour mettre en mouvement une dynamique collective, plutôt que de chercher à corriger méticuleusement chaque déficience du projet.

Humains, trop humains

« L’énergie n’est pas la même, quand on cherche une solution à un problème et quand on cherche à démultiplier une réussite », confirme là-dessus Robert Laurie, rappelant au passage les trois besoins humains fondamentaux sur lesquels se propose de miser l’alliance franco-canadienne pour le bien-être : l’appartenance, la compétence et l’autonomie (voire l’article dédié).

Comme partout ailleurs, la ville de Genas ne manque pas de défis internes et externes : attirer et fidéliser de nouveaux talents à la Mairie, engager davantage les collaborateurs et prévenir les épuisements professionnels. Mais aussi, animer les nouvelles infrastructures de la ville pour leur permettre de réellement atteindre leurs ambitions en termes de création de liens, attirer de nouveaux habitants malgré l’augmentation du foncier et anticiper les enjeux de vieillissement et de mixité sociale à venir au sein d’un territoire encore relativement homogène. Autant de questions sans solution toute faite, aux enjeux bien davantage reliés à l’humain qu’aux moyens. « Quand on ne créera rien de plus, mais qu’on donnera le sens, notre commune sera un territoire de bien-être », résume le Maire de Genas, Monsieur Daniel Valéro, touchant là certainement la substantifique moelle des discussions.

« Notre démarche n’est pas de faire fi des difficultés, mais de tester une approche différente », réagit Robert Laurie, adepte de la politique des petits pas et de la mise en mouvement par des actions concrètes. Mais par où commencer ? Quelques propositions de périmètres d’expérimentation émergent au fil des discussions.  Parmi elles, le Projet Social Educatif du Territoire (PSET), rassemblant près de 160 agents et constituant l’un des atouts de la Mairie. « Cette expérimentation pour le bien-être territorial à Genas pourrait devenir la sève, l’énergie circulante du PSET », suggère le consultant François Rousseau, partisan quant à lui des métaphores biomimétiques.

Au tempo du bien-être

L’heure tourne et la pénombre réveille les lampadaires derrière les larges baies vitrées de la salle circulaire, rappelant tout un chacun à ses diverses obligations. Il va sans dire que sur un tel sujet, la discussion pourrait continuer des heures. Mais pour le bien-être de tous, et parce que nul chantier expérimental ne s’est jamais fait en un jour, le moment vient des conclusions : « Il faut aussi qu’on se pose la question du temps, ouvre Cendrine Vadon. On a une horlogerie fine, beaucoup trop lente et inadaptée aux rythmes d’aujourd’hui. Les temps ont changé et les services publics ne sont pas prêts à cette accélération du temps. Cette distorsion s’aggrave chaque année, on est de moins en moins lucide pour distinguer l’urgent de l’important. »

Prendre le temps de réfléchir aux bases d’une politique territoriale du bien-être quitte à remettre en cause quelques fondamentaux des temps modernes, voilà qui n’est du moins pas superflu face à l’ampleur des enjeux : « Ne pas se pencher sur les besoins fondamentaux de l’humain, c’est passer à côté de l’essentiel. On se rend compte que si on ne s’en saisit pas, on aura du mal à construire quoi que ce soit », rappelait la Directrice de l’Éducation de la commune de Saint-Thibault-des-Vignes dans le cadre de sa propre expérimentation pour le bien-être territorial (voire l’article dédié).

C’est chose rare par ailleurs que de voir des collectifs humains s’épanouir dans un contexte de stress temporel et d’urgence permanente : passée au triple filtre de l’appartenance, de la compétence et de l’autonomie, la question des usages du temps est aussi un pivot en matière de bien-être territorial – comme dans la vie de tout un chacun. En attendant de démêler ces questionnements métaphysiques aux répercussions pratiques non moins importantes, rendez-vous dans les prochains articles pour suivre les aventures de Genas et de Saint-Thibault-des-Vignes, les villages qui voulaient être heureux.

Photo : Comité de lancement de l’expérimentation pour le bien-être territorial de la ville de Genas, septembre 2023

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